Retraites et justice sociale 2

Publié le par verel

Le texte ci-dessous a été corrigé pour tenir compte des remarques faites par Emmanuel dans le premier commentaire.

 

Sindelaar et Emmanuel ont contesté dans leurs commentaires les chiffres concernant la répartition inégalitaire des retraites selon les populations. Comme je l’ai déjà dit, ces chiffres sont issus du livre de Timothy Smith, « la France injuste », regard intéressant d’un étranger (il est canadien) sur notre Etat providence. L’auteur s’insurge entre autre contre l’utilisation qui est faite des montants très importants que consomme l’Etat Providence (53% du PNB) et qui selon lui profitent d’abord aux 30% de la population qui ont les meilleurs revenus, au détriment des plus pauvres, (jeunes, femmes et enfants d’immigrés

 

Je reprends ici ce que j’avais déjà cité de cet auteur dans mon article précédent :

 

«  Les 30% de la population affiliés au secteur public et aux régimes spéciaux consomment environ 60% du total des frais annuels de retraites c'est-à-dire le double de leur part si le système était réellement équitable. Les 70% restant affiliés à la caisse principale ne représentent que 40% des dépenses car ils  subventionnent les déficits des autres. »

 

Emmanuel et Sindelaar trouvent ces chiffres impossibles.

 

Je les trouve aussi surprenants et j’ai fini par trouver dans son livre d’où l’universitaire canadien les sortait. En page 338, il reproduit en effet un tableau montrant que un tiers des retraites allaient aux 15%  qui en avaient les montants les plus élevés, un autre tiers aux 25% suivants et le dernier tiers aux 60% restants. Sa source est un ouvrage de Xavier Gaullier paru en 1999, « les temps de la vie : emploi et retraite ».

 

T Smith est passé allégrement des 30% les plus riches aux fonctionnaires et affiliés aux régimes spéciaux. Ce qui parait impossible avec les catégories qu’il cite devient possible si on enlève les fonctionnaires de catégorie C ou les ouvriers d’entretien des vois et qu’on les remplace par les cadres du privé ! Mais du coup, cela enlève tout intérêt à ses remarques !

 

Si on reprend les chiffres qu’Emmanuel tire du rapport du COR, les pensions des fonctionnaires et affiliés aux régimes spéciaux retraités représentent 3.51% du PIB pour 11.84% pour l’ensemble des retraites (page 237 du rapport). Cela représente donc environ un tiers du total, ce qui doit être comparé avec la population active correspondante.

 

C’est là que commence le problème. Il faut en effet tenir compte de l’évolution de la population. Par exemple, le nombre d’agriculteurs diminuant constamment, il y a 3 fois plus de retraités (ou d’ayants droits) que d’actifs parmi les salariés agricoles. Le rapport est même supérieur à 17 pour les mineurs ! C’est ce qui justifie des transferts d’une caisse à l’autre mais rend difficiles les comparaisons. D’autant plus que les régimes spéciaux concernent essentiellement des activités dont l’effectif diminue alors que celui des fonctionnaires est en augmentation.

 

Si l’on prend les seuls fonctionnaires, au sein de la fonction publique d’Etat ou des collectivités locales, leurs pensions représentent 2.66% du PIB, soit environ 22% du montant total des pensions. De leur coté, les anciens salariés du privé reçoivent de leurs différentes caisses 7.29% du PIB, soit 2.7 fois plus que  les anciens fonctionnaires. Les effectifs du privé étaient de 15,4 millions de salariés contre 5 millions de fonctionnaires en 2005, soit un rapport de 1 à 3.1. En 1982 (période plus représentative du nombre de pensionnés), ce même rapport était de 3.3

 

 Pour ce qui concerne les régimes spéciaux, leur part dans les pensions est de 0.85% du PIB et de 7% du total. Là aussi, il faudrait comparer avec les effectifs vers 1980, mais je n’ai pas les données. C’est en tous cas sans doute moins que les 7% de 25 millions qui font 1.75 millions. Les pensions de la SNCF représentent 0.29% du PIB, soit 2,5% du total environ. L’effectif aujourd’hui inférieur à 200 000 devait être proche de ce chiffre vers 1980, soit moins de 1% de la population active.

 

Une autre approche consiste à prendre les taux de cotisations globaux (salariés plus employeurs) pour évaluer le coût des régimes. Les chiffres cités par Emmanuel sur les taux de cotisation globaux sont de 41.5% pour les fonctionnaires civils et d’un peu plus de 27% pour le privé. Cet écart est influencé par les évolutions démographiques qui à priori diminuent les coûts pour le public : de 1982 à 2004, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 23,7% selon le rapport Pébereau alors que celui des salariés du privé a augmenté de 16%.. Sans cette évolution, il serait donc plus important.

 

Je voudrais décrire ici un certain nombre de mécanismes qui expliquent ces écarts, au moins partiellement.

 

1)      Le salaire de référence : nos systèmes de retraites indexent généralement le montant des pensions sur le montant des salaires précédents. La population la mieux payée bénéficie donc d’une part plus importante des pensions. La population des fonctionnaires et des régimes spéciaux bénéficie t’elle de salaires plus élevés que la moyenne ? Oui . D’après l’INSEE,   en 2004, le salaire annuel net des fonctionnaires était en moyenne de 25290 euros alors qu’en 2004, celui des hommes du privé et semi public était de 23 778 et celui des femmes du privé et semi public de 19182. Les revenus du public étaient donc supérieurs d’environ 18% Il est probable que les régimes spéciaux soient au moins aussi favorables que la fonction publique

 

2)      Le mode de calcul des pensions. Dans le privé, la référence est la moyenne des 25 meilleures années (résultat de la loi Balladur) alors que dans le public la référence est le salaire des 6 derniers mois. C’est la même chose à la SNCF ou à la Banque de France. Ce mécanisme plus favorable au public l’est d’autant plus si la progression de salaire est forte entre le début et la fin de carrière. Pour une ouvrière du textile payée au SMIC toute sa vie, cela n’a pas beaucoup d’impact. Pour un professeur qui double son salaire entre le début et la fin de carrière, c’est au contraire très important. Les pensions étant calculés sur le brut et les retraités n’étant pas soumis aux même cotisations que les salariés (qui font que le net se situe environ à 78% du brut), le revenu total des retraités est aujourd’hui égal en moyenne à celui des actifs (ce qui entre parenthèse est une aberration). Si l’on ne tient pas compte des revenus du patrimoine et seulement de celui des pensions, le revenu des retraités est de 91% de celui des actifs en 2001 dans le premier rapport du COR. Certains ont une situation plus favorable, en particulier ceux qui dans le public ont eu une évolution de carrière importante. C’est le cas des professeurs ou des conducteurs de locomotives dont je parlais dans mon article précédent et que me contestait Emmanuel. A combien se chiffrent ces effets de mode de calcul ? On peut en avoir une idée en regardant le montant moyen des pensions :  les pensions dans le public sont supérieures de 28% à ceux du privé pour les hommes et de 72% pour les femmes. L’écart beaucoup plus pour les femmes réfléte plusieurs causes : les écarts selon les sexes plus importants dans le privé, le fait que les femmes aient eu plus souvent des carrières interrompues dans le prive, peut être une proportion plus importante de travail à temps partiel . Au final, on constate en tout cas que l’écart entre le montant des pensions et plus important que celui des salaires de références : le mode de calcul des pensions est favorable au public, pour un montant nettement supérieur à 10%

 

3)      L’âge de départ à la retraite. Le livre de Timothy Smith étant paru en 2004 en anglais, il ne tenait sans doute pas compte des effets de la loi Fillon. A l’époque, les fonctionnaires cotisaient pendant 37.5 ans et les salariés du privé pendant 40 ans. Pour des personnes ayant commencé à travailler à 22 ans et demi, cela faisait un départ à la retraite différé de 2.5 ans dans le privé, et à espérance de vie égale de 20 ans à l’âge de 60 ans, une durée de versement de pension différente de 2.5 ans soit environ 14% de  plus pour le public. L’écart est évidemment beaucoup p^lus important si l’on parle de retraite à 55 voire 50 ans. Dans le cas extrême des conducteurs de loco qui partent à 50 ans s’ils ont cotisé 27.5 ans, on peut comparer avec des gens qui comme eux ont au moins un bac électrotechnique ou un BTS. Ceux là ont commencé dans le privé à 20 ans, parfois plus, et ne sont pas en retraite avant 60 ans. Si l’on pend ici aussi une espérance de vie de 20 ans, les pensions du conducteur de loco coûtent 50% de plus que celles des techniciens du privé.

 

4)      L’espérance de vie. Comme on le sait, nous ne sommes pas tous égaux devant la mort, et si les femmes sont largement favorisées, il y a aussi des différences selon la catégorie sociale, qui entraînent par exemple une différence d’espérance de vie à 60 ans de 7 ans entre les cadres et les ouvriers. On sait que les instituteurs étaient à une époque ceux qui avaient la plus forte espérance de vie. La conséquence sur les pensions est double : une proportion plus forte de cadres que d’ouvriers arrivent à la retraite et touchent leurs pensions, et ceux qui la touchent le font pendant nettement plus longtemps (environ 50% de plus !). Dans son premier rapport publié en 2001, le COR montrait que la probabilité d’arriver à l’âge de la retraite était passée de 82% pour un actif masculin en 1950 à 90% en 2000, mais qu’à cette date, la probabilité de mourir entre 35 et 60 ans était de 8.5% chez les cadres et professions libérales hommes mais de 16% pour les ouvriers. Le rapport donnait une différence d’espérance de vie entre public et privé d’environ 2 ans pour les femmes, ce qui devrait amener un différentiel de coût des pensions d’environ 10%.

 

5)      Les régles particulières. L’article du Point sur les retraites donnait plusieurs exemples particulièrement « croustillants », par exemple les avantages importants accordés aux anciens fonctionnaires résidants dans les DOM TOM et ayant donné lieu à des abus. On peut aussi citer les fonctionnaires de sexe masculin et ayant eu trois enfants qui ont profité de l’arrêt de la cour européenne en 2001 pour bénéficier de règles inventées pour les femmes. Ces exemples me paraissent effectivement scandaleux mais je ne suis pas sûr qu’ils représentent un montant important (encore que le Point parle de 100 000 « expatriés » dans les DOM TOM)

 

 

Quel est le résultat de l’ensemble de ces mécanismes ? Les différents facteurs ne s’ajoutent pas, ils se multiplient. Si chacun des 4 représentent un écart de 1 à 1.1, le total donnerait un écart de 1 à 1.45. S’il est de 1 à 1.2 le total est plus proche de 2. Les chiffres de taux de cotisations globaux donnent un écart de 1 à 1.5 environ mais ils ne tiennent évidement pas compte du premier facteur (avec celui-ci, le rapport passe à 1.75)

 

L'IFRAP donne un écart nettement plus élevé et on ne peut que suivre Emmanuel qui ne le trouve pas sérieux.

 

 

Publié dans Social

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E
Verel : nous sommes d'accord. (merci d'avoir corrigé ta note pour tenir compte de mes remarques)A une nuance près, toutefois. Tu écris que :"Les chiffres cités par Emmanuel sur les taux de cotisation globaux sont de 41.5% pour les fonctionnaires civils et d’un peu plus de 27% pour le privé. Cet écart est influencé par les évolutions démographiques qui à priori diminuent les coûts pour le public : de 1982 à 2004, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 23,7% selon le rapport Pébereau alors que celui des salariés du privé a augmenté de 16%.. Sans cette évolution, il serait donc plus important."En fait, d'après ce que je comprends, je ne pense pas que les évolutions démographiques dans les différents régimes changent quoi que ce soit au taux de cotisation global. A cause du mécanisme de compensation entre régimes, créé en 1974, qui fait que les régimes avec une démographie favorable subventionnent les régimes les plus structurellement déficitaires. Dès lors, une augmentation du nombre de fonctionnaires ne se traduit pas par une baisse de leurs cotisations mais par une hausse de la contribution du régime des fonctionnaires civils vers les régimes les plus déficitaires (celui des agriculteurs en premier lieu).
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A
Au delà de la description fort intéressante du mécanisme, une réflexion de non-spécialiste mais néammoins citoyen : <br /> interroger les "privilèges" des agents de la fonction publique conduira - t'il dans les faits à <br /> - interroger les privilèes d'autres secteurs de la société ? <br /> - améliorer dans les faits la vie des moins privilégiés ?<br />  
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V
A Bernard: le fait pour une personne de fumer ou non  n'ayant acun impact sur le "résultats de sa catégorei, je ne vois pas où se situe l'encouragemnt<br /> La moindre espérance de vie d'un type de population est la conséquence d'un ensemble qui comprend les conditions de travail (et pour avoir travaillé à la mine, je peux témoigner qu'il y a un impact!) des conditions de vie au sens large mais aussi des modes de vie qui sont liés aussi à des comportements. Ceux ci, qu'il s'agissent d'hygiène ou d'habitudes alementaires, résultent à la fois de conditions éconmiques (comparez le prix des retaurants ditétiques et des mac do!) et de questions d'éducation . Selon que j'ai vécu mon enfance dans une maison avec douches ou avec eau froide courante, je n'ai pas les mêmes habitudes d'hygiène. Sans compter la manière de recourir à la médecine<br /> On observera surtout qu'un système qui ne prend pas en compte les espérances de vie amène à faire cotiser les ouvriers pour payer la retraite des cadres! 
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B
On lit un peu partout qu'il faut tenir compte de la pénibilité des métiers et du différentiel d'espérance de vie ( à la naissance?) des différentes catégories sociales.En fait cela revient  ,en partie , à encourager certains comportements ( le tabagisme et  bien d'autres...) car cette différence d'espérance de vie provient essentiellement des différences de mode de vie ( voir par exemple et c'est analogue la distribution de l'obésité selon les catégories sociales )D'ailleurs les conjoints n'exerçant pas de profession et qui appartiennent à des milieux défavorisés ont également  une espérance de vie ( à tous les âges ) plus courte que les autres.De sorte que cet argument qui semble à première vue de bon sens  ne me paraît pas si convaincant.
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C
Non, Emmanuel, tu n'est pas seul.Mais je crois que c'est comme ça sur tous les blogs hébergés chez over-blog.
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E
1. Concernant la retraite des conducteurs de train : je croyais en fait que tu affirmais que leurs pensions étaient supérieures à leurs derniers salaires, ce qui me semblait logiquement (et légalement) impossibles. Au temps pour moi. Si l'argument est que leurs pensions sont supérieures au salaire moyen de l'ensemble des conducteurs, la chose devient très possible, et pas nécessairement scandaleuse (tout dépend de la structure démographique de la population de référence).2. Sur les chiffres du COR vs l'affirmation de Timothy Smith : le chiffre de 3,51% du PIB se calcule tout simplement en faisant la somme des pensions des fonctionnaires (pensions civiles et militaires + pensions des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers) et de celles versées par les régimes spéciaux  - pdf page 237. Au vu des chiffres du COR, je ne vois pas comment les statistiques de Smith peuvent être exactes.http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-643.pdfIl est certes *théoriquement* envisageable que le coût (pas global, mais ramené à la population concernée) des retraites dans le public soit deux fois plus élevé que dans le privé. Mais c'est une autre question et l'affirmation de Smith n'en reste pas moins inexacte.3. "L’IFRAP est connu pour ses opinions anti-fonctionnaires mais c’est un organisme sérieux qui soigne ses études."J'espère que c'est une blague. Parce que, comme d'habitude, il semble que l'IFRAP raconte n'importe quoi, comme le prouve une meilleure source :" Pour comparer les cotisations du secteur privé et celles des fonctionnaires, le COR retient, de son côté, une approche un peu différente de celle du ministère des finances : raisonnement en termes de taux de cotisation global (part salariale et employeur), neutralisation des prestations d’invalidité qui font partie intégrante des pensions à la différence de ce que l’on constate dans le régime général, prise en compte dans le calcul du taux global de la totalité des rémunérations, y compris les primes. Ses calculs aboutissent à un taux de cotisation global (avec surcompensation) de 41,5 % pour les fonctionnaires civils et de 74,6 % pour les militaires, à rapprocher d’un taux global de 27,8 % pour les cadres du secteur privé et de 27,1 % pour les non-cadres en tenant compte du coût des cessations anticipées d’activité"http://www.ccomptes.fr/Cour-des-comptes/publications/rapports/pension/Pensions_5.htmlLa différence reste importante, sûrement en partie inéquitable (en partie parce que la Cour des comptes note que des caractéristiques socio-démographiques peuvent expliquer une part du surcoût), mais on est très loin du rapport de 1 à 2,5 de l'IFRAP. D'autant que le rapport du COR de 2001 indique que le taux de cotisation implicite pour les fonctionnaires civils est en fait de 38,6% une fois neutralisés les effets de la surcompensation (c'est-à-dire les versements de l'Etat en faveur des régimes spéciaux). Voir p 59http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-124.pdf4. (rien à voir) Je suis le seul à trouver horripilant ce système de commentaires? Si non, le maître de ces lieux pourrait-il envisager d'en changer?
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